Soyons réaliste sur
Apple !
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1984, naissance
du mythe Apple S’il n’en reste qu’un, ce sera celui-là : le Macintosh, dont nous fêtons les 20 ans, est sans conteste la machine qui définit le mieux Apple, puisqu’elle semble en résumer les meilleurs aspects comme les moins bons. Il est d’ailleurs intéressant de constater que, pour le grand public, la date de sortie du Macintosh est considérée comme la date de naissance d’Apple. Si les huit années qui ont précédé cet ordinateur dans l’histoire d’Apple appartiennent à une autre époque, c’est que l’image d’Apple aujourd’hui est intimement liée au Macintosh, qui a façonné cette image. 1984, la naissance d’un mythe...
À l’heure où l’ordinateur est réservé aux entreprises ou bien à une poignée de passionnés qui se réunissent, Apple prépare la sortie du Macintosh comme un événement commercial destiné aussi au grand public. Avec le Macintosh, Apple pense tenir le premier vrai "Ordinateur Personnel". En diffusant le spot publicitaire "1984" lors du SuperBowl, Apple introduit la micro-informatique dans la vie de tous les Américains, et fixe ce qui sera son thème fort pour les 20 ans à venir : le "Think Different", la résistance à l’uniformité. Même si ce discours pour Apple n’est pas
différent de celui que la firme tenait depuis sa création,
la sortie du Macintosh lui donne une caisse de résonance qu’Apple
n’avait jamais connue. Ce positionnement va marquer profondément
Apple, qui est encore aujourd’hui associe volontiers son image
à des artistes (comme le témoigne la vidéo d’introduction
d’iLife 04), et cultive une image que certains considèrent
élitiste (design épuré des machines, publicités. Fidèle au chemin tracé par "1984", Apple récidivera à de nombreuses reprises, notamment avec le spot "Lemmings", ou bien, plus près de nous, avec la campagne "Think Different" ou avec la publicité "Rip. Mix. Burn" qui présente de nombreuses vedettes de la chanson.
Si le Macintosh pose les bases de la communication d’Apple des
vingt dernières années, cette éternelle question
de l’innovation prend, elle aussi, sa source en 1984. Apple se
veut, comme on vient de l’évoquer, une sorte de trublion,
une entreprise innovante qui vient casser les dogmes de l’industrie
informatique, alors dominée par IBM. La sortie du Macintosh conforte
ce positionnement puisqu’Apple se place en inventeur d’un
nouveau type d’informatique, avec l’utilisation de l’interface
graphique. Néanmoins, même l’innovation originelle introduite
par Apple est questionnée. Si aujourd’hui Jef Raskin, le
responsable du projet Macintosh, assure qu’Apple travaillait sur
cette idée depuis 1979, d’autres témoignages font
état d’une visite de Steve Jobs dans les laboratoires de
recherche de Xerox, où il découvre la souris, et décide
d’utiliser ce système pour le Macintosh. Ainsi, l’acte fondateur de l’innovation d’Apple est entaché d’un emprunt coupable... Qui vient aujourd’hui encore troubler toute discussion sur les avancées d’Apple. Le Macintosh pose donc, aux yeux des MacUsers comme des autres, la réputation de pionnier (à défaut d’innovateur) d’Apple.
L’éternel perdant La dernière pierre posée par le Macintosh à l’édifice
du mythe Apple est la plus importante : c’est celle de l’éternel
perdant. Car malgré un important succès (500 000 Macintosh
sont vendus jusqu’en 1985), le Macintosh que tout le monde célèbre
aujourd’hui a assez vite montré ses limites : dans le même
temps, 6 millions d’IBM PC étaient vendus. Cette comparaison peut étonner aujourd’hui, alors que,
au vu des hommages que recueille le Macintosh pour son anniversaire,
on serait tenté d’imaginer qu’à cette époque
Apple dominait encore la micro-informatique. C’est oublier que
déjà l’Apple III avait été un échec,
et qu’Apple misait beaucoup sur la sortie du 24 janvier 1984. Mais le Macintosh, malgré ses indéniables qualités,
souffrait de nombreuses lacunes techniques (mémoire vive trop
faible, absence de disque dur) et d’un prix somme toute élevé
(autant de reproches qui seront faits à Apple de nombreuses fois
après 1984). Il serait exagéré de dire que sa sortie
fut un échec, mais il convient, vingt après, de la remettre,
en termes purement factuels, dans le contexte de l’époque. Associé au message d’innovation qu’Apple essaie de
faire passer, ce semi-échec (et les remous internes qu’Apple
traverse à la même époque) scelle l’image
de la firme de Cupertino aux yeux du reste du monde : Apple est une
compagnie qui innove, montre le chemin, mais qui est incapable d’en
tirer profit. Son état d’esprit frondeur, son discours
parfois utopiste ou teinté de politique la privent du pragmatisme
nécessaire à la réussite dans le monde des affaires.
Cet état d’esprit conduit à quelques mauvais choix
qui sont souvent préjudiciables aux innovations qu’Apple
met sur le marché. Depuis le Macintosh, Apple est donc cette compagnie un peu hippie dont les innovations (interface graphique, Airport, Newton...) sont récupérées par d’autres (Microsoft, Palm) qui ont les compétences nécessaires pour en faire des réussites.
Car force est de constater qu’au cours des vingt dernières
années, trop d’exemples viennent renforcer les trois composants
du mythe Apple. À de nombreuses reprises, Apple a essayé
de rester fidèle à ce mythe forgé par le Macintosh,
mais elle s’est toujours heurtée aux mêmes limites
qui avaient déjà été rencontrées
à la suite de la sortie du Mac. Chaque innovation proposée par Apple au cours de ces vingt dernières
années porte en elle les paradoxes que portait déjà
le Macintosh : une communication souvent idéologique (ou en tout
cas, qui ne s’adresse pas aux masses) masquant des problèmes
techniques indéniables (le G4 et le mythe du Gigahertz), la promesse
d’une esthétique nouvelle qui se heurte à la réalité
du marché (le Cube), et finalement le goût amer de l’occasion
manquée de retrouver une gloire passée, en termes de parts
de marché. Et si, après 20 années marquées par les paradoxes du Macintosh, Apple parvenait, via sa dernière grande innovation (iPod/iTMS) à sortir des limites que son propre mythe lui impose ? Voir aussi à propos du 20° anniversaire du Mac : "20 ans que je fus dépucelé du Mac" (rubrique Actualité critique) |